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UN DIVORCE

Au bout d’un quart d’heure d’une conversation traînante, Ferdinand dit à Étienne :

— Sortons-nous ?

— Si vous voulez, répondit le jeune homme.

— Étienne doit avoir assez du froid qu’il fait dehors, observa Claire ; il me semble que tu pourrais recevoir sa visite chez toi.

— Ce qui est fort étrange, c’est que tu te permettes de me donner un conseil à cet égard, répondit M. Desfayes.

Sur une réplique de Claire, il fut plus brutal encore, et sortit suivi d’Étienne, en fermant la porte violemment.

— Eh bien ! vous voici déjà en guerre, ton mari et toi ? dit Mathilde à sa cousine, quand elles furent seules.

Claire ne répondit pas ; elle semblait regarder avec attention sa chiffonnière, et comme elle avait le dos tourné à la lampe, son visage était dans l’ombre.

— Cela ne m’étonne pas, poursuivit Mathilde. Plus le rêve de bonheur a été doux, plus la déception est amère. Je t’ai vu te livrer avec étourderie à un grand enthousiasme, et je m’attendais à ce résultat. C’est que tout est calculé, vois-tu, dans l’éducation réciproque des hommes et des femmes, pour qu’il n’y ait entre eux d’autres rapports que des rapports matériels. Chacun étant occupé de son côté de choses que l’autre n’entend point, ne peut épancher ses préoccupations qu’à la condition d’ennuyer son compagnon, et même avec la certitude de n’en pas être compris ; leurs goûts, leurs habitudes, leurs opinions, leurs préjugés sont combinés de manière à se croiser partout à angles droits, et quand ce double chef-d’œuvre d’opposition et de dissemblance est achevé, on les lie ensemble pour la vie en leur disant : Aimez-vous ! Malheureusement il leur est cent fois plus facile de se haïr.