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UN DIVORCE

l’avait quitté furieux, lui défendant de reparaître jamais à Beausite.

Par quelles persuasions Anna avait-elle pu obtenir du père Grandvaux qu’il ouvrît sa bourse pour Étienne ? On l’ignorait. Mais, depuis sa maladie, elle avait sur son père une plus grande influence. Le bonhomme était inquiet ; il ne la trouvait plus aussi fraîche ni aussi joyeuse. On n’aurait pu dire cependant que l’humeur d’Anna avait changé, car c’était toujours la même excellente enfant, bonne et attentive pour tous, gaie même quand il fallait égayer les autres ; mais sa vraie gaieté d’autrefois, si limpide et si profonde, n’existait plus, et ses longs cils, qui s’abaissaient fréquemment, semblaient jeter sur ses traits un voile de tristesse.

Elle n’avait jamais eu beaucoup d’éclat ; mais sous ses paupières, à travers une douceur profonde, on voyait autrefois rayonner, égales et pures, les saintes flammes qui alimentent l’âme et lui donnent la santé ; maintenant leur foyer semblait éteint, et ce doux regard était noyé d’ombre. — Car, dans le langage de notre terre, fille du soleil, la peine et le mal se disent ombre, et le bien lumière.

Anna n’avait pas imité la froideur de son père, et tout en pâlissant, elle avait salué son cousin d’un air amical.

Quant à Claire, elle ne put cacher son trouble en apercevant madame Fonjallaz, qui, donnant le bras à l’une de ses amies, causait avec deux ou trois jeunes gens, de cet air provoquant et dégagé qui la faisait trouver si piquante.

— Elle était là ! pensa Claire. Ah ! elle devait être là !…

Aussitôt, elle se rappela combien Ferdinand avait paru tenir à assister à cette fête, et qu’une ombre… quelque