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UN DIVORCE

Elle se rendit aussitôt à l’autre bout du banc, à côté de son père, qui la garda près de lui.

Les troupes s’étaient rangées en ordre de bataille et exécutaient des feux de peloton. Il va sans dire qu’on ne tirait qu’à poudre. Bientôt, elles se séparèrent en deux corps et simulèrent une bataille. Sur les flancs, des tirailleurs s’éparpillaient, déchargeaient leurs armes et couraient se rallier.

Une foule de curieux de tous les âges, où dominaient surtout les femmes et les enfants, suivaient les manœuvres de fort près, copiant avec désordre tous les mouvements des troupes, avançant, reculant, fuyant à droite ou à gauche, prenant de fausses voies, revenant soudain, ondulant sans cesse.

Il y eut un moment où, après s’être rangée sur une seule ligne, l’armée, se repliant subitement, enserra la foule dans le cercle qu’elle formait ; et, s’amusant des exclamations des femmes, de l’effroi des enfants, de l’embarras de tous, les soldats poussaient doucement, avec des ménagements extrêmes, ce troupeau de prisonniers.

Camille en riait de tout son cœur.

— C’est charmant ! disait-il, ma foi !

Mais en même temps la raillerie pétillait dans ses yeux et se glissait entre ses paroles à l’aspect de ces soldats suisses, bourgeois déguisés, dont le sabre bat les flancs, que le képi coiffe en l’air, et dont l’uniforme, bien de famille, est toujours trop large ou trop court.

— Sacristi ! sapristi ! saperlotte ! s’écriait le père Grandvaux, les yeux humides de patriotisme, c’est tout de même de fameuses troupes, ça ; hein ! qu’en dites-vous, monsieur le Français ?

— Le Français s’en moque, père Grandvaux, dit Ferdinand ; il ne les trouve pas assez ficelées.