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UN DIVORCE

mière fois, pourquoi si peu de rapports existent entre cette nature sublime et les hommes qui vivent au milieu d’elle. De temps en temps mes regards tombaient de ce monde magique sur cet ivrogne étendu là-bas, et j’éprouvais un sentiment étrange, pénible.

— Nous avons, en effet, monsieur, on nous le reproche, peu de génie et d’élévation, mais…

— Ah ! madame, ai-je besoin de vous dire que vous êtes exceptée, et vous aurais-je dit cela, si vous ne l’étiez point ?

— La politesse l’exige.

— Non, ce n’est pas de la politesse. Il n’y a, madame, dans tout l’univers, que deux nations de femmes, celles qui savent aimer et souffrir… et les autres.

Il prit la main de Claire et la serra doucement, en attachant sur elle un regard si tendre, et en même temps si plein de respect, qu’elle en fut émue. Elle baissa les yeux ; mais, malgré elle, des larmes se firent un passage à travers ses cils et roulèrent sur sa joue.

— Ah ! vous devez me trouver bien faible, monsieur, murmura-t-elle, je pleure devant vous.

— Vous le pouvez sans honte et sans crainte, comme en présence d’un véritable ami. Avec beaucoup d’émotion, il ajouta : — Je vous ai connue heureuse, et vous m’inspiriez déjà… une vive affection… Vous voir souffrir maintenant… je ne puis vous dire… combien cela est cruel pour moi.

Elle comprit, rougit et ne trouva rien à répondre. Camille lui offrit son bras, et ils achevèrent de descendre jusqu’à la maison Renaud.

La nuit fut, bientôt après, tout à fait tombée ; une nuit sombre, où de rares étoiles brillaient. Il était temps de partir, et M. Desfayes n’arrivait pas. Plongée dans un