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UN DIVORCE

comme elles reprenaient le même sujet de conversation sans paraître songer à aucun autre, la jeune fille les interrompit d’une voix timide, et, en rougissant un peu :

— Mathilde, tu as reçu des nouvelles de ton frère ?

— Oui, répondit brièvement mademoiselle Sargeaz.

— Il se porte bien ?

— Physiquement parlant, oui. Dieu merci ! la santé du corps lui est octroyée, à défaut d’autre.

— Qu’a-t-il donc fait ? demanda la pauvre enfant d’un ton douloureux.

— Ce qu’il a fait ? répéta Mathilde en ouvrant de grands yeux, ce qu’il a fait ? Mais des dettes. Et que pouvait-il faire autre chose ?

Anna baissa les yeux avec tristesse, et Mathilde reprit :

— Oui, c’est tout ; mais si tu veux des détails, en voici quelques-uns : Il ne s’est pas encore décidé à aller voir l’ami auquel mon père l’a recommandé ; c’est vaguement et par d’autres que ce monsieur a appris qu’il y avait à Rome un Sargeaz, gai buveur et bon compagnon, qui s’était battu avec un dragon du pape. Étienne m’écrit de plus que Rome est stupide et sale, qu’il s’ennuie mortellement, qu’il nous regrette, qu’il se maudit, que souvent il regarde couler le Tibre avec l’envie… N’aie pas tant d’effroi : il ne se tuera pas, ma chère ; il faut, même pour un acte de ce genre, plus d’énergie qu’il n’en possède. D’ailleurs, je viens de lui écrire une lettre sur le suicide, et, si étourdi qu’il soit, elle le fera réfléchir, je pense. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’elle l’aime toujours, ajouta-t-elle en s’adressant à Claire ; car Anna venait de fondre en larmes.

— Je suis comme toi, je n’y comprends rien, répondit madame Desfayes. Anna a pourtant trop de bon sens