Page:Léo - Un divorce, 1866.pdf/31

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
UN DIVORCE

ce que ça veut dire ? Goûtez-moi de ce vin du Rhin. C’est encore ma vigne qui me l’a donné. Et j’ai bu du johannisberg qui ne lui était pas supérieur. Mais vous m’en direz votre avis, là, franchement.

Dès lors ils ne s’occupèrent que de déguster et d’apprécier savamment le mérite des différents vins, debout en face l’un de l’autre, se passant le verre, buvant à petits coups, et laissant tomber entre deux gorgées, savourées avec lenteur, une phrase, un lambeau de phrase, quelquefois un mot. On le croira difficilement ; mais ce ne fut qu’au bout de deux heures que M. Grandvaux et son hôte reparurent à la lumière du jour, assez profondément émus l’un et l’autre, mais solides et bien portants.

Camille ne s’était pas dirigé du côté des bois ; il avait remonté l’avenue, où naturellement il rencontra mademoiselle Claire, qui, après avoir accompagné sa cousine jusqu’à la route, s’en revenait. En le voyant venir seul, elle sourit en rougissant. Camille n’avait plus son visage fin et moqueur, mais une expression de douceur timide, qui vraiment lui seyait fort bien. Ils se dirent bonjour une seconde fois, et tous deux en même temps, avec une entente remarquable, se mirent à casser une petite branche du sapin auprès duquel ils se rencontraient et qu’ils effeuillèrent les yeux baissés, avec une attention presque égale.

— Avez-vous fini votre paysage, monsieur ?

— Non, mademoiselle ; j’étais venu pour y travailler, mais j’ai rencontré quelqu’un et… je l’attends.

— Ce monsieur qui était avec vous ?

— Oui, mademoiselle ; il est maintenant à la cave avec votre père.

— Ainsi vous n’avez pas eu le courage… ? dit-elle