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UN DIVORCE

— À personne ?

— À personne… excepté à ceux qui sauraient les deviner.

Claire ne répondit pas ; ils rentrèrent pensifs à la maison.

On retint à souper Ferdinand et Camille. Ce dernier refusa d’abord, et ne céda que par politesse. Il observait de l’œil Ferdinand, qui, de son côté, jetait des regards enflammés sur mademoiselle Claire, sans beaucoup lui parler d’ailleurs, bien qu’il fût assis à côté d’elle. Les mœurs protestantes, qui, inspirées de la Bible, en ont l’âpreté et la rudesse, n’offrent pas de milieu commun à l’homme et à la femme autre que ces rapports, marqués si largement et si principalement dans le livre antique, la table et le lit conjugal. Ils vivent séparés ; chacun a sa sphère : elle, la maison ; lui, la cité. Elle est Rébecca humble et soumise ; lui, le chef, le maître, Isaac.

Cette séparation a déposé fortement son empreinte sur l’un et sur l’autre : l’homme est lourd, rude, adonné à l’ivrognerie, et comme enveloppé dans sa gangue ; la femme, par un assemblage de tons heurtés, sous l’empire d’impressions contraires, est à la fois sèche, vulgaire et mélancolique. L’instruction qu’elle reçoit est assez étendue, mais en même temps bornée de toutes parts, et sa seule occupation étant le ménage, ces connaissances arrêtées, dont elle ne sait que faire, lui donnent facilement de la raideur d’esprit et de la pédanterie.

Les sujets de conversation que choisit le jeune prétendant, tout en dévorant du regard la belle proie qu’il convoitait, furent la chasse, qu’il aimait, et les affaires de banque. Le père Grandvaux paraissait trouver cela fort bien ; madame Grandvaux n’ouvrait la bouche que