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UN DIVORCE

core. Si ton mari rentrait, tu aurais une terrible scène à soutenir.

Claire se leva sans répondre et suivit Mathilde, qui conduisait les pas du petit Fernand. Louise, que l’attendrissement venait de prendre tout à coup, marchait derrière elles, portant la petite et sanglotant.

La voiture partit à grand bruit sur le pavé de la rue, et bientôt roula sourdement sous les ombrages de Monthenon. L’atmosphère était claire, une nuit de septembre ; entre les petites feuilles noires des ormeaux, on apercevait le ciel, criblé de scintillements ; la ville se déroulait à droite, avec ses lumières, de l’autre côté du ravin ; à gauche, tandis que la voiture courait en avant, les arbres, un à un, fuyaient, vers la maison abandonnée.

Bientôt on roula sur la route sonore, à ciel découvert. Claire ne parlait pas, sa tête en feu n’avait que des perceptions vagues ; le monde des réalités ordinaires n’existait plus en elle, et il lui semblait qu’elle courait, à la surface du globe arrondi, vers une chute immense.

La voiture s’arrêta ; la grille de Beausite tourna sur ses gonds, et l’on se remit à courir dans l’avenue.

Elle revenait donc habiter ces lieux où son enfance s’était écoulée. Ah ! si elle devait y rentrer ainsi, pourquoi les avait-elle quittés ? Trois ans seulement s’étaient passés, et déjà elle avait vécu toute une vie de joies et de peines, et son existence était flétrie pour toujours.

Quand elle descendit de voiture, l’étonnement, la curiosité dont elle fut l’objet de la part des serviteurs, la consternation de sa mère, l’exclamation de son père, qui s’écria : Sacrebleu ! c’est trop tôt ! vous auriez dû me laisser gouverner ça, — jusqu’au sourire hébété de Jenny, tout lui fut cruel.