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UN DIVORCE

t-il faire aux hommes des choses si barbares ? Comment se permettent-ils de toucher à ces choses-là ? M’ôter mon enfant !… Ils sont fous ! Mais toi, tu sais… n’est-ce pas ? tu sauras comprendre ?… C’est une chose insensée et monstrueuse, n’est-ce pas ?

— Et moi, dit-il, tu me supposes donc insensible ? Crois-tu que je n’aime pas aussi mes enfants ?

Il l’obligea en même temps à se relever et à se rasseoir.

— Oui ! oh ! oui, certainement, mon ami (reprit-elle, affreusement pâle, suffoquée de terreur, et de la voix et du regard cherchant son âme pour l’adoucir) ; oui, mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Tu ne les connais pas aussi bien que moi. Les enfants ! vois-tu ! c’est si frêle et si délicat qu’il ne faut les toucher que très-doucement, les deviner dans leurs besoins, qu’ils ne savent pas dire. Il est si facile de leur faire du mal ! Et rendre un enfant malheureux ! un pauvre petit enfant !… Ne sens-tu pas que c’est un crime, une chose qui fait mal rien que d’y penser ?…

— Claire ! s’écria-t-il en l’interrompant, tout ce que vous dites là tend à me déposséder de mes droits de père, et je ne puis pas accepter cela ! Moi aussi, j’ai de la tendresse pour eux, moins touchante que la vôtre, mais très-vraie. Vous autres femmes, vous croyez que parce qu’on n’est pas à genoux devant ces petits êtres, on ne les aime pas. Vous vous trompez, j’aime mes enfants, et je le sens surtout depuis que vous m’avez privé de leur présence. Tiens, l’autre jour, sur la place Saint-François, un bambin de l’âge du nôtre, qui s’était écarté de sa mère, s’est trouvé presque sous mes pieds, à deux pas d’un char, et je l’ai emporté sur le trottoir. Ce petit poids, que je n’avais pas soulevé depuis si longtemps, ça m’a fait une