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UN DIVORCE

jolie, elle se rendait à la ville. Combien sa jeunesse avait été douce et radieuse dans l’attente de cette chose sublime, l’amour, qu’elle voyait confusément luire à l’horizon ! Elle y touchait enfin, elle l’avait atteinte. Qu’y aurait-il au delà ? Un serrement de cœur la prit encore, puis elle se mit à sourire, car elle entendait à son oreille tout un chuchotement de mots charmants qu’il lui avait dits, et qui l’accompagnaient partout de leur céleste harmonie : Je vous aime ! je vous aime ! Elle était aimée ! Eh bien ! n’est-ce pas tout le bonheur ? Et c’était pour toujours : il le lui avait juré.

Elle regarda l’heure de nouveau. Quatre heures. Il allait venir. En entendant un bruit dehors, elle se leva pour voir. Ce n’était pas encore lui, mais il ne tarderait point. Elle se mira dans la glace et arrangea ses cheveux ; puis, d’un air attentif et sérieux, elle se contempla pour savoir si vraiment elle était aussi belle qu’il le disait, et elle essaya les bijoux. L’anneau surtout et les bagues lui causaient une émotion pleine de fierté. Elle se vit jeune femme, dans un bel appartement, et se plut dans sa majesté nouvelle. Elle passerait dans la rue avec ce beau châle, en donnant le bras à son mari. Elle avait vu des jeunes femmes ainsi et les avait admirées ; et cet air qu’elles avaient, composé d’orgueil et de bonheur, l’avait fait songer.

Le soleil, baissant à l’horizon, se cachait à demi derrière le jeune cèdre, en face de la fenêtre, et rien n’était beau à voir comme ce délicat feuillage de l’arbre oriental, tout émaillé d’or. La jeune fille contempla cela longtemps avec admiration ; elle avait vu la même chose cent fois, mais ce jour-là c’était bien plus beau. Il y avait depuis quelques jours dans les choses je ne sais quoi de magique et de pénétrant dont les autres n’avaient pas l’air de