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UN DIVORCE

Lausanne après une excursion de quinze jours au milieu des montagnes bernoises. Ils étaient assis l’un près de l’autre, et tantôt ils regardaient le paysage, tantôt, et bien plus souvent, ils se regardaient.

Le visage de Ferdinand offrait l’expression d’un contentement, où la satisfaction de soi-même entrait bien pour quelque chose ; celui de Claire était illuminé par des reflets de l’âme si charmants, qu’un de ces observateurs aux yeux desquels l’être humain est l’œuvre la plus complète et la plus parfaite du monde visible eût dédaigné les magnificences de la nature pour la contempler : son chapeau de paille aux larges bords, rejeté en arrière, découvrait son front rayonnant ; le châle qu’elle retenait à peine, roulé en écharpe autour d’elle, recouvrait leurs mains unies de ses bouts flottants ; et malgré tout l’abandon de cette tendresse, qui oubliait même de se cacher à la foule, l’expression naïve et pure du visage de la jeune femme l’enveloppait d’un voile de chasteté.

— À quoi penses-tu ? lui demanda Ferdinand en rencontrant son beau sourire.

— Je pense que je suis heureuse d’être au monde, répondit-elle aussitôt, comme si elle eût laissé son âme s’exhaler par ses lèvres ; et en songeant que tant de gens se plaignent et prétendent que la vie est triste, je ne pouvais plus comprendre pourquoi. Vois, n’est-ce pas un enchantement tout autour de nous ? et puis, enfin, est-ce qu’il n’est pas donné à tout le monde d’aimer ?

— Il paraît que non, répliqua-t-il, assez flegmatiquement.

— Cependant chacun a sa femme et chacune a son mari. Mais tout le monde ne s’aime pas autant que nous.

— Parbleu ! je le crois bien ! s’écria-i-il. Il faudrait pour cela que toutes les femmes fussent aussi gentilles