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LES TROIS COCUS

exposer ; m’abstenir, en pareille circonstance, serait faillir aux devoirs sacrés du poste qui m’a été confié.

Et là-dessus, il enfilait une nouvelle période de phrases redondantes. C’était inouï, ce qu’il avait toujours d’arguments à faire valoir ! Le président et ses assesseurs prenaient le parti de s’endormir ; ce qu’ils avaient de mieux à faire.

Le plus terrible de l’histoire, c’est que Belvalli et Saint-Brieux avaient, les trois quarts du temps, un auxiliaire redoutable. Cet auxiliaire, parfaitement inconscient du reste, était un avocat natif d’Auvergne, répondant au nom de Me Anselme Bredouillard.

Celui-là était bien le plus stupide crétin que le Palais eût produit. Anselme Bredouillard avait trente-cinq ans, et il était aussi bête qu’avant son stage. Il était rouge-carotte, portant la barbe en collier. Il avait un défaut de langue, grâce auquel il se comparait modestement à Démosthène. Démosthène avant les cailloux, aurait-on pu lui répondre. On lui savait de hautes prétentions politiques ; ce qui faisait bien rire les camarades du barreau. Impossible de rêver un avorton pareil, tranchant avec un aplomb aussi comique les questions de la plus grave importance. Avec ça, venimeux, revêche, fielleux, hargneux, jaloux, rageur ; jamais on ne lui avait entendu dire du bien de quelqu’un. Par-dessus le marché, il était spirite.

Belvalli et Saint-Brieux exploitaient sa suffisance.

— Eh bien ! maître Bredouillard, disait de temps à autre l’un des deux substituts en tapant familièrement sur l’épaule au niais Anselme avant l’ouverture d’une audience, nous allons batailler aujourd’hui. C’est vous qui plaidez dans l’affaire Machin contre Chose, et c’est moi qui aurai à donner les conclusions du ministère public. Je n’ai pas de parti pris, mais il me semble que Chose a raison contre votre client. Toutefois, je n’ai pas mon opinion définitivement faite, et je me laisserai convaincre si vous faites valoir, avec le talent qui vous caractérise, de bonnes raisons.

Bredouillard se poussait du col.

— Je vous convaincrai, répondait-il.

— Oh ! ne vous avancez pas trop, cependant. Ce vous sera dur, d’établir que Machin n’est pas dans son tort.

— Que si, que si !

— Alors, il vous faudra plaider longtemps. Il est vrai que vous ne ménagez pas votre éloquence et que vous êtes de ceux qui ne fatiguent jamais leur auditoire, parleraient-ils plusieurs jours consécutifs…