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LES TROIS COCUS

qui seras probablement ministre, tu voudrais me faire croire que c’est pour le pur amour de l’art que tu es ici à cette heure occupé à manier la balayette et le broc à l’eau !… Non, mon cher, je n’avale pas de ces blagues-là !… Je ne suis pas tombée de la dernière pluie !…

Et, après avoir giflé son mari, la jalouse Marseillaise, qui a soif de carnage, se jette sur Mélanie Sapajou et lui attrape le chignon.

Les deux femmes sont aux prises.

Elles crient, hurlent, s’injurient. Les clients sont inquiets. Les deux maris essaient de séparer les combattantes, qui s’égratignent, dont la figure est labourée de coups d’ongles.

Tout à coup, Achille s’écrie :

— Nom de Dieu ! ce n’est pas le moment de faire une scène !… On s’expliquera tout à l’heure ; mais nous sommes en plein krack financier… Il faut n’avoir pas de cœur, sapristi ! pour ne pas sentir la hauteur de la situation !

Ce mot produisit sur Paméla un effet prodigieux.

En effet, elle était venue troubler une journée comme il n’y en aurait certainement pas deux dans l’histoire des lieux d’aisances.

Le remords in saisit, les souvenirs de son ancienne profession lui reviennent à la mémoire. Elle songe à f ml ce passé glorieux. Les fumées de l’amour-propre lui moulent au cerveau. Elle lâche Mélanie et dit au directeur du Général Cambronne :

— Vous avez raison, monsieur Sapajou, passez-moi une balayette !

Ce fut un beau spectacle. Oubliant leurs colères réciproques, les deux femmes s’attendrissent et font noblement leur devoir. Pharamond et Achille, de leur côté, s’en donnent à cœur-joie.

— Ami Le Crêpu, dit M. Sapajou, prenant de nouveau la parole, malgré mon ingénieuse prévoyance, nous sommes menacés de manquer de papier ; nous avons épuisé tous les bouillons du Mot d’Ordre !

— C’est inouï !

— Faites de suite, je vous en prie, la tournée du quartier, et achetez les invendus du Radical.

— Croyez-vous que cela suffira cette fois ?

— Je le présume ; le Radical est, après le Mot d’Ordre, le journal de Paris qui a le plus d’invendus.



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