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LE MARCHAND DE BONHEUR

compréhensifs ; c’est une des clés de la nature.

« Et d’abord, chaque chose prend sa place, s’accorde à son plan naturel. Les petites misères, que nous grossissent la jouissance et la paresse morale, reculent, descendent à leur niveau. Sans mon mal, j’eusse peut-être été « un auteur », en proie aux niaiseries du métier, tremblant devant la critique, exalté par les louanges, dupé par les satisfactions vaniteuses ; certes, il me reste des faiblesses. Néanmoins, je suis épuré… Aux eaux de Lamalou, j’ai rencontré des « sosies de souffrance » dans les professions les plus diverses. Ils étaient tous au-dessus d’eux-mêmes, éclairés par ces lueurs brusques qui traversent leurs tissus, pénètrent leurs âmes. Entre tant de confidences que j’ai reçues, celles des damnés de là-bas ont un caractère spécial d’âpreté, de franchise. Les mots mêmes dont ils se servaient ont plus de relief, plus d’ampleur. »

— Elles sont, à ce sujet, bien typiques et bien belles, les notes prises par mon père pendant ses stations thermales. Elles étonnèrent les médecins, ces « observations » d’un homme de lettres, plus complètes et raffinées que n’aurait pu les recueillir un savant, sans idées préconçues, sans théories intercalaires, d’une netteté de procès-verbal. Les pires hontes, les misères secrètes d’hommes, de femmes, de vieillards, sont indi-