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HIER ET AUJOURD’HUI

Je sens la tiédeur du soleil, puis une autre tiédeur plus douce et proche de moi, qui m’est transmise par la chère main robuste. Je sens dans ma poitrine étroite quelque chose de matériel et d’exquis par quoi ma respiration est plus vive et que j’appelle déjà le bonheur. Et je me répète en marchant que je suis très heureux aujourd’hui. Mon père me parle. Il n’a pour moi ni traits, ni visage, il n’a pas de nom ; il n’est pas glorieux. Il est tout simplement mon père. Je l’appelle souvent papa, papa, pour la simple joie de ce mot auquel se rattachent pour moi tous rudiments d’idées brillantes et sensibles. Je l’interroge sur tout ce qui passe pour entendre le son de sa voix qui me paraît la plus belle musique, en accord avec l’allégresse, la lumière et tous mes désirs.

Nous passons par des places pleines de monde, nous entrons dans de grandes maisons. Ceux qui nous accueillent sont gais et toujours papa les fait rire. Je comprends à merveille qu’il y a en lui quelque chose de plus que dans les autres. C’est vers lui qu’on se tourne, c’est à lui qu’on s’adresse.

Nous sommes, lui, ma mère et moi, dans le cabinet de travail. Nous habitons alors, 24, rue Pavée-aux-Marais, l’ancien hôtel Lamoignon. Il y a encore du soleil, cette fois sous forme d’un grand filet jaune qui prolonge les dessins du tapis et que