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ALPHONSE DAUDET

je m’obstine à faire reluire en le frottant avec ma main. Ma mère est assise et écrit. Mon père écrit aussi, mais debout, sur une planchette fixée au mur. Parfois il s’interrompt, se retourne, interroge ma mère. À la façon dont ils se regardent, je devine leur mutuelle confiance. Parfois il quitte son poste, marche de long en large, à grands pas, répétant à mi-voix des phrases que je sais être son travail. Ils font partie de mon atmosphère enfantine ces colloques de mon père avec lui-même lorsqu’il « se plonge dans son travail ». Cette expression me fait souvent rêver. Mais le labeur le plus acharné ne l’empêche pas, lorsqu’il passe près de moi, de me soulever dans ses bras, de m’embrasser, de me poser debout sur un fauteuil ou sur la table, exercice dangereux et charmant où j’ai pleine confiance en sa force.

Parmi tous mes camarades, il est celui qui sait le mieux jouer. Nous avons, dans un coin, un grand tas de boulettes de papier pour faire la bataille de neige. Nous avons un angle du salon où deux fauteuils juxtaposés forment notre réelle cabane, où nous ne redoutons point les sauvages, où croissent en abondance les fruits des îles fortunées.

Lorsque l’hiver nous groupe autour du feu, l’abri de Robinson se trouve entre les genoux mêmes de mon père. Le toit de la cabane, c’est son éternelle couverture qui prend les formes les plus