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ALPHONSE DAUDET

il avait planté et fait croître de si beaux arbres, je profitai chaque jour de ses conseils et de son expérience.

Dans son curieux exemplaire de Montaigne qui ne le quittait jamais, qui superpose sur ses pages jaunes et vertes les empreintes de maintes stations thermales, dans ce livre où il puisait tout. enseignement et tout réconfort, je trouve, marqué et annoté avec un soin spécial, le fameux chapitre : De la Ressemblance des Enfants aux Pères. Sans doute, depuis plusieurs années, il sentait s’éveiller en moi et presque à mon insu cet étrange « démon littéraire » auquel il n’est point permis d’échapper. Quand je me confessai à lui de ce zèle nouveau qui m’envahissait, il me tint un bien beau discours que je me rappelle parfaitement. Cela se passait dans une chambre d’hôtel banale et nue. Ma mère avait dû rester à Paris, par une circonstance exceptionnelle ; auprès de mon frère Lucien et de ma toute jeune sœur Edmée. Il me parla près de mon cœur, près de mon esprit, comme il savait le faire, avec une gravité émue. Il me représenta les charges de cette profession d’homme de lettres, où l’on n’a pas le droit d’être un artiste pur, où l’on est encore responsable de ceux qui vous lisent et que l’on trouble. Il ne me cacha pas les difficultés nombreuses et variées que je rencontrerais sur ma route, en admettant