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VIE ET LITTÉRATURE

tastiques comme on en trouve aux trains de nuit. Mon père avait adopté le triste attelage et nous étions sûrs, en contournant la rue Bellechasse, de le voir cahoter vers nous. Le vieux, de son côté, était devenu amoureux de ce facile client qui jamais n’incriminait la lenteur ou la malpropreté. Une des dernières fois que nous l’employâmes, avant qu’il sombrât dans les ténèbres de Paris, n’avait-il pas eu l’idée d’inscrire à l’encre rouge les initiales AD sur les panneaux et sur les glaces s’affirmant ainsi propriété de celui qui l’avait pris en compassion ?

Une multitude de petits souvenirs semblables se pressent autour de mon cœur. Je n’hésite point à en transcrire quelques-uns, pour que, quand vous lirez ces grands livres, trempés d’émotion et de douceur, vous sachiez qu’ils furent les fruits d’une âme sincère, aussi belle en ses moindres mouvements qu’en ses longs et patients efforts.

Nos promenades donc variaient peu. Nous nous faisions conduire, par l’avenue des Champs-Élysées, jusqu’à l’Arc-de-Triomphe. Mon père aimait cette grandiose descente qui lui rappelait tant de souvenirs que je suivais en ses yeux vifs, toujours tournés vers le pittoresque, saisissant et fixant l’humanité avec une vitesse fabuleuse. S’il se sentait plus mélancolique, nous allions au