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ALPHONSE DAUDET

de longs morceaux ; avec la conscience qu’il portait en tout, il réfléchissait à ces lectures et les résumait le lendemain, les enrichissant de remarques subtiles. Nous causions toujours et partout. Il aimait à m’enfermer avec lui dans son cabinet de toilette. Je le vois s’interrompre pour une discussion, son peigne ou sa brosse à la main ; puis, quand ses idées s’embrouillaient, plonger dans sa cuvette « afin de les rendre plus claires ». « L’action de l’eau fraîche le matin sur le cerveau, mon petit, est à elle seule un grand problème. Celui qui, après une nuit blanche, ne s’est débarbouillé ni lavé, est capable des pires sottises et incapable des moindres raisonnements. »

J’ai parlé incidemment de sa conscience. Il revenait sur les mêmes sujets, sans ostentation ni lourdeur, tant qu’il restait quelque chose d’obscur. Il ne se payait point de mots. Des « marchands de phrases », ainsi désignait-il les raisonneurs à arêtes dures qui traitent le monde moral par les mathématiques et d’après des lois fixes : « Je hais le point de vue automatique », s’écriait-il aussi devant les analyses glacées et retorses. Et « ce point de vue automatique », il le montrait tuant toute fraîcheur, tout élan de primesaut, jusqu’aux joies naïves de la création : « La douce lune si molle, si persuasive, a des