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VIE ET LITTÉRATURE

dant des heures, chercher fiévreusement l’expression fidèle et concordante, soucieux des droits poétiques de l’oreille autant que de ceux de l’esprit. Les difficultés le ravissaient. Que de fois, pendant mes études, rebuté par un texte trop aride, trop serré, je le lui ai laissé sur sa table le soir ! Je le retrouvais, le lendemain matin, avec le « français » en regard. Mes professeurs me complimentaient, donnaient mon travail en exemple. Je me rappelle, au concours général de rhétorique, une tirade d’Eumolpe, l’ivrogne illuminé de Pétrone, où les plus forts avaient déplorablement pataugé. Ce vers m’en est resté dans la mémoire, comme un modèle de casse-téte chinois :

Ut cortina sonet céleri distincta meatu.

Mon père prit la page maudite, et, pendant un tour de jardin, me la traduisit sans hésiter, dans une langue aussi ferme, robuste et brillante que celle de l’auteur. Il ajouta pour me consoler :

« Certaines pages, et non des moins belles, de notre cher de Goncourt, seront une aussi rude difficulté pour les collégiens de l’avenir. »

Il me façonna au latin par la lecture des vers ou fragments de prose exemplaire dont Montaigne entrelarde ses Essais : « Pour nous autres gens du midi, le verbe méditerranéen n’est jamais mort. Regarde ce gascon du seizième. Il a l’ivresse des