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VIE ET LITTÉRATURE

chaque fois mon père y ajoutait ; sa vie, jusqu’à la mort, fut en crue perpétuelle.

Quelques rares amis ont pu garder le souvenir d’une page de Rabelais lue par lui à haute voix. Dans la forêt de Gargantua et de Pantagruel il avait retrouvé beaucoup d’arbustes, de feuillages, de fleurs du midi. Le séjour de l’auteur à Montpellier explique ces réminiscences. Mon père nota les principales à la fin de son exemplaire. Elles surexcitaient naturellement sa verve. Il nous mimait toute la Tempête où les exploits de Jean des Entommeures, enflant sa voix, son geste jusqu’au diapason frénétique, riant lui-même, rejetant ses cheveux, rajustant son monocle, enivré par la puissance verbale.

Un autre jour, c’était Diderot qu’il prenait, célébrait, par la déclamation des pages les plus vibrantes, les plus improvisées, telles que dans : Ceci n’est pas un conte, maintes Lettres à mademoiselle Volland ou encore le Neveu de Rameau. Un autre jour, Chateaubriand, auquel il trouvait le souffle du large, le rythme sur des vagues puissantes. Il faisait valoir ce ton épique appliqué aux souvenirs familiers, cette magnificence de l’âme jamais défaillante, toujours mélancolique, drapée à plis antiques dans le deuil de ses illusions.

Il me faudrait passer en revue toute la littéra-