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ALPHONSE DAUDET

me rappelle nos promenades lors des premiers 14 juillet (nous habitions encore le Marais), son allégresse à la vue des drapeaux, des femmes endimanchées, des hommes radieux portant « les gosses » sur les épaules. Il fraternisait avec tout le monde, offrait à boire, célébrait la beauté des petits « que ses longs cheveux faisaient rire ». « Tu vois, cette robe-là. Le père, depuis un mois, en cause avec la mère. On a rogné sur le budget et combattu les vieux parents. C’est une affaire, tu penses. » Les regards enfantins, écarquillés de convoitise devant les boutiques, l’attendrissaient. Il vidait sa bourse en joujoux. La valeur du cadeau se centuplait par l’offre adroite et par la gentillesse.

Il rêva d’écrire une histoire anecdotique de la Commune, d’autant plus impartiale qu’il excusait toutes les fureurs d’alors : « Je les ai partagées, disait-il. Je quitte Paris, où l’on voulait m’enrôler, où les énergumènes m’exaspéraient. J’arrive à Versailles, où je retrouve, en sens inverse, le même délire cruel, les mêmes injustices, les mêmes yeux de haine, sans l’excuse de la misère et de la faim. J’ai compris que, sous peine de mort, il fallait me tenir à l’écart. »

Que de fois, en ses années tristes, nous nous finies conduire aux faubourgs. La montée de la foule vers Belleville, le soir, les rôtisseries étin-