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ALPHONSE DAUDET

goût du passé. Elle découvre mainte vieille résidence, comme à Savigny cette demeure de Mme  de Beaumont, qu’envahissent l’herbe et la mousse. L’automne est la plus belle saison. Les feux d’herbe brillent sur les vastes plaines. Mon père exprime son souhait de bonheur : « Une vieille maison, large, un peu basse, prolongée en ferme et basse-cour. Du sarment dans les cheminées. Quelques amis de choix et la neige au dehors. Une confiance absolue et tendre. Des causeries, de nobles lectures. Les vieux sont sans morosité, les jeunes ni pédants ni amers. On savoure. »

Dans une de ses dernières lettres, reçue à Grenoble pendant mon service aux « Alpins », il m’écrivait : « Imagine un de ces jolis artistes consommateurs, comme j’aurais rêvé d’en être un, habitant un vieux domaine aux portes d’une petite ville à mail et à remparts, passant deux mois à Paris, quelques semaines sur le Nil ou au Spitzberg, finissant par se fatiguer de courir et faisant toute sa joie de quelques chambres d’amis habitées aux jours traditionnels de l’année, Noël, jour de l’An, moissons, feux de la Saint-Jean. Cette homme-là pourrait imprimer un livre aux tomes innombrables, faits de notre meilleure moelle. Il mettrait à la fin du dernier volume : « À continuer », et le « livre de la vie » ou de « la science de la vie » serait en train. »