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VIE ET LITTÉRATURE

réflexion soutenue, dans la pensée qui accumule et élimine, fait la récolte et le tri des images, demande à la vie de contrôler le rêve, au rêve de magnifier et d’élargir la vie. Les héros de ces romans et de ces drames, les propos qu’ils tiennent et les lieux qu’ils fréquentent ne sont point les produits d’une surchauffe imaginative. Ils ne sont point, comme il arrive souvent, des parcelles de l’âme créatrice, habilement grossies et diversifiées, les empreintes hardies d’un même homme qui s’hallucine de passions opposites. Alphonse Daudet fut une porte merveilleuse ouverte aux phénomènes naturels. Ses sens transmirent à son cerveau les observations les plus justes, les plus déliées, les plus vraies. Son cerveau fit le choix et organisa la mise en œuvre.

Il vivait avec ses personnages comme avec des amis. Il les interrogeait sur toutes choses et il écoutait leurs réponses. Il les tentait par des vices et des vertus dont il suivait le travail en eux jusqu’à obtenir des figures complètes, jusqu’à ces mystérieuses limites du visible et de l’impénétrable. Il préférait les faire agir que raisonner, n’ignorant point qu’un geste sincère est la ruine immédiate de mille théories, qu’une altération soudaine du visage l’emporte sur les plus subtiles déductions. Il savait que les caractères se trahissent en paroles typiques, que les individus hy-