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MÉMOIRE ET DESIR.

coquettes. Orgon, c’est encore lui, dont il rit en grimaçant, lui chez qui la jalousie a pris la forme de la confiance aveugle ou entêtée, ainsi qu’il arrive à bien des jaloux, las de leurs continuelles alarmes. Mais derrière Alceste, derrière Orgon, leur donnant une portée générale, qui fait que tant de misanthropes, tant de jaloux se reconnaissent partiellement en eux, il y a la mémoire héréditaire de Molière, comme l’horizon de pins et de collines derrière les magiques figures du Vinci. Une étude de caractère et de tempérament ne vaut que située dans un milieu familier, éclairée, élargie par une ascendance, poursuivie à travers ces portraits de famille que sont les cortèges de personimages dans la mémoire de l’écrivain.

On m’excusera de citer ici une pièce bien caractéristique de la première maturité d’Alphonse Daudet : l’Arlésienne. Un fait-divers, un suicide par amour, a donné naissance à cette œuvre, considérée à bon droit comme un chef-d’œuvre. Mon père racontait que l’atmosphère de drame lui était venue d’une paysanne provençale appelant, sur des tons différents, l’un aigu, l’autre grave, son fils dans les plaines de Crau, au jour tombant. J’ai toujours pensé que ce cri naturel (mon père était exceptionnellement auditif) avait suscité, dans l’esprit et le corps d’Alphonse Daudet, une multitude d’hérédofigures méridionales, de parents ardéchois et languedociens, accompagnés de leur ambiance et de leurs façons de voir, de sentir, de parler. En effet,