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LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

Si le langage est la principale invention de l’homme, il est aussi la plus perfectionnée et la plus personnifiée. Non seulement chaque peuple a son langage, mais, dans chaque peuple, chaque profession et chaque province a son idiome et ses idiotismes, chaque famille, chaque individu a ses habitudes linguistiques, phonétiques, graphiques, accompagnées de gestes appropriés. C’est une grande merveille, à laquelle nous ne prêtons pas assez d’attention, que cette possibilité de se comprendre immédiatement, que possèdent en commun plusieurs millions d’hommes et qui leur permet, aux heures critiques, de se rassembler en un seul, sous l’action d’une seule image, d’un seul mot : la patrie.

L’évocation consécutive au mot et à l’agglomérat de mots qu’est la phrase, se produit par l’oreille, ou la vue, ou certaines combinaisons tactiles et autres, en usage chez les aveugles et les sourds-muets. Afin de ne pas compliquer les choses, nous supposerons, au cours de cette étude, qu’il s’agit de sujets normaux. L’évocation, consécutive au mot concret, nous représente un objet ou un être déterminé, faisant partie de notre mémoire personnelle. L’évocation, consécutive au mot abstrait, nous représente l’objet d’un objet, ou l’être d’un être, faisant partie de la mémoire héréditaire. C’est pourquoi cette deuxième évocation est nulle chez la plupart des humains dénués de toute faculté introspective et demeure vague chez une élite. Répétez le mot « vo-