Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LE MOT ET CE QU’IL ÉVOQUE.

ditaire. Le mot est évoqué par l’image et, à son tour, il évoque l’image, quelquefois dans une série très différente de celle qui lui a donné naissance. D’où la puissance communicative de la conviction et de la sincérité.

Rarement un esprit ose être ce qu’il est,
a dit Boileau dans un vers célèbre. L’écueil de l’art oratoire, c’est le ron-ron et le convenu, comme l’écueil de l’art de l’écrivain, c’est le cliché et l’apprêt. Le choix du mot, articulé ou écrit, est une opération menlale rapide, où le soi joue un rôle prépondérant

On s’en rend compte dans la composition littéraire, mieux à loisir que dans la composition oratoire. Parfois, alors que quelques minutes auparavant, l’écrivain se croyait maître de son sujet, il hésite et demeure à sec devant son papier, l’esprit désert, ainsi qu’une lande. Ça ne vient pas. Il tourne et retourne les vocables dans sa tête, sans préférence pour l’un ou pour l’autre, comme on trie des sous de cuivre sur un comptoir. C’est que le désir est éteint, aussi bien dans l’impulsion créatrice du soi que dans l’instinct génésique du moi. Mais voici qu’au fond de sa mémoire individuelle, en conjonction avec la parcelle correspondante de sa mémoire héréditaire, une étincelle verbale s’allume tout à coup. Il n’en faut pas plus. Transmis par une image d’image, par un terme juste ou ardent, l’ébranlement se communique à ces régimes de mots que