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LE MONDE DES IMAGES.

héréditaire, paternelle et maternelle, qui marchait, sous le léger stimulant du calame, et me dispensait généreusement son contenu.

Je me rappelle notamment être arrivé à Lamalou-les-Bains, à l’âge de dix-huit ans, pour retrouver mon père et ma mère. J’étais stimulé, il est vrai, par une amourette, comme il arrive aux tout jeunes gens, mais mon étoile semblait infiniment loin du ver de terre que j’avais conscience d’être. Après le dîner, je montai dans ma chambre d’hôtel ; je me mis à écrire un dialogue entre un insecte et un homme de génie, dont j’avais eu l’idée en chemin de fer. Le temps passa. Le mot écrit appelait l’idée, qui évoquait l’image, qui se répandait en phrases et en mots. À quatre heures du matin, j’étais encore à ma table. Au bout de dix jours, j’avais mis sur pieds le manuscrit d’un petit volume de philosophie. Cela valait ce que ça valait et la question n’est pas là. Mais la vocation littéraire m’apparut, à ce moment précis, comme, une chose brillante et facile, et qui se renouvelait à sa source, je veux dire dans l’encrier. Mon père me modérait : « Si tu continues à travailler avec cette ardeur, tu auras de la congestion cérébrale. » Il se trompait. C’était un phénomène de décompression imaginative, qui me fît du bien.

Chez les écrivains médiocres, l’évocation verbale est nulle et les personimages sont indistinctes. Chez un Shakespeare, un Racine, un Molière, un Balzac, à la vigueur, à l’intensité des apparitions hérédi-