Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/62

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Un cas compliqué est celui qui fait coexister, chez un même individu, le génie et la marotte. Il devient alors très malaisé de démêler le premier de la seconde, de faire la part du sot et de l’excellent, du dangereux et de l’utile. Je dirai, dans le langage qui nous est maintenant familier, que la plénitude et la domination du soi confèrent le génie, que l’obscurcissement du soi par les personimages et la domination de celles-ci provoquent le marottisme. Le philosophe, qui vient d’édifier une théorie séduisante, s’aperçoit tout à coup que cette théorie ne s’accorde pas avec tel fait d’expérience. Au lieu de modifier son point de vue, il va, par entêtement, nier le fait d’expérience, ou essayer de le dissimuler, à l’aide de toutes sortes de roueries intellectuelles, comme le voleur fait du fruit de son larcin. Ce grand piège de l’obstination scientifique en dépit de tout est une conséquence des personimages. Car, encore une fois, il n’y a pas dans l’esprit humain d’idée détachée, suspendue dans le vide de l’espace et du temps. Toute conception fait partie d’une forme d’ensemble, qui est elle-même une forme héréditaire, un souple ou rigide mannequin congénital, installé dans notre chair et notre pensée, consubstantiel à l’une et à l’autre, dont les modifications retentissent sur nos tissus, comme sur notre esprit.

Les marottiers sont très proches des mythomanes ou, plus familièrement, des raconteurs d’histoires, qui embellissent et déforment la réalité, forgent, quelquefois de toutes pièces, des aventures surpre-