Page:Léon Daudet – Le Monde des images.djvu/91

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Il est une œuvre de fou littéraire où surnagent de beaux morceaux d’éloquence, et qui fournit un cas remarquable d’accélération des images. Je veux parler des Chants de Maldoror par un certain Lautréamont, qui mourut tragiquement, il y a de cela une quarantaine d’années. Cet auteur accumule, en une seule page, une vingtaine de sensations différentes et violentes, témoignant d’une sorte de délire demi-lucide. Outre une tendance au sadisme très nette, il offre cette particularité unique de voir les microbes et les insectes grossis, un pou de la taille d’une maison, etc… et il émane, de ces descriptions forcenées, une sorte de terreur psychologique. Bien doué quant à la contraction du langage (allant parfois jusqu’à la crispation et à la crampe) mais logé presque à la même enseigne, nous apparaît Arthur Rimbaud. Ce qui sépare Rimbaud du génie, en dépit de ses nombreux admirateurs, c’est l’excessive rapidité dans la succession des personimages, qui l’animent successivement, de sorte que souvent une image profonde et juste apparaît comme voilée et décoordonnée par une autre de moindre qualité. C’est ce que j’appellerai le vertige des images subintrantes.

Ce vertige, traversé à certains moments d’une sérénité singulière, fut celui de Stéphane Mallarmé. Je l’ai connu et admiré. C’était un petit homme, de voix douce, de manières charmantes, aux grands yeux profonds ; donnant l’impression de la non fébrilité et du calme. Il avait une éloquence sobre,