Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/109

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Quelquefois ils crachaient un sang rose, et ceci leur donnait une pâleur où les flammes de leurs yeux vacillaient. Le timbre parcheminé de leur voix rappelait un jeu de mon pays, où l’on imite le cri du coq avec un morceau de papier.

Charmide les interrogeait sur leurs parents et, quand les lits étaient voisins, j’entendais distinctement les réponses. Je demandai à Barbasse pourquoi cette question revenait toujours. L’excellent garçon m’expliqua que les maladies des Morticoles sont de véritables personnages. Parasites des humains, parallèles aux humains, elles ont leurs fils chez leurs fils, leurs petits-enfants chez leurs petits-enfants, et ainsi de suite : « Et, dis-je, ne peut-on jamais se soustraire aux conséquences terribles de cette hérédité ? — Jamais. Apprenez, Canelon, que le fils d’un fou est un fou, celui d’un cardiaque un cardiaque, celui d’un tuberculeux un tuberculeux. Le mal n’est pas fort inventif. » J’objectai à l’interne combien ses concitoyens répugnaient à cet ordre de problèmes, à ces recherches sur leurs familles : « Oui, ils devinent là vaguement quelque chose d’implacable, et les griffes de la fatalité. Vous voyez (ici Barbasse baissa la voix), tout au fond, le lit no 2. C’est un cœur. Ses ascendants, ses frères et sœurs sont tous morts par cet organe. Lui le sait, et pourtant il le nie avec désespoir. D’ailleurs ces chaînes n’ont rien qui doive surprendre. Ne ressemblez-vous pas à votre père et à votre mère ? » Je développai alors que, dans mon pays, on ne voit que de rares accidents, tels qu’ils résultent des travaux de la campagne, ou encore des indispositions, coliques et rhumes : « Nous ignorons cette kyrielle de fléaux qui peuplent les salles de l’hôpital Typhus. Quant à l’hérédité, comme nous avons une existence très active, très libre, très de plein air, cela depuis d’innombrables années, aussi loin que remontent le souvenir et l’histoire, nous formons infiniment plus de types caractéristiques et différents qu’on n’en trouve dans votre morne cité, où la vie est