Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/116

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lure noire, si ample et si riche, et je sanglotai contre le mur, y tapant mon pauvre front d’homme.

À ce moment, il y eut un vacarme sacrilège. Le beau Tismet de l’Ancre et le bel Avigdeuse passaient suivis de leurs élèves, parlant fort, se frappant l’épaule, remplis d’audace et d’arrogance. Ils s’arrêtèrent devant le lit, et Tismet s’écria joyeux : « Tout juste ! Décès subit ! Diagnostic : Tuberculose aiguë. Si elle a de l’œdème, cela tranche la querelle. » Déjà les deux compères soulevaient brutalement les draps. Je détournai la tête : « Jolie fille ! Encore chaude… Un vrai satin. Non, pas d’œdème. — Alors je suis battu. » Ils continuèrent leur route, laissant le corps découvert, souillé par leur contact, tandis qu’Avigdeuse expliquait à Tismet que le vitalisme, l’animisme, il faudrait revenir à ces idées

Grâce à un subterfuge, Suzanne échappa à Trouillot, et, par la plus sinistre des éclaircies, on la hissa dans un corbillard mal étayé, qui grinçait sur des roues criardes.

Je ne pouvais rester plus longtemps salle Bucolin. J’y occupais un lit sans raison, et je ne voulais pas mériter même l’ombre d’un reproche de notre maître. Barbasse obtint du directeur que je serais garçon en titre dans le service du docteur Boridan. Je comptais gagner quelque argent, avec le vague espoir de commencer des études médicales qui donnent seules, chez les Morticoles, toutes licences, même celle de fuir.

Je fis mes adieux à Charmide. Il me serra paternellement les mains et glissa sous mon oreiller plusieurs pièces d’or. J’allai porter mes vêtements au dortoir des garçons. Dans une longue pièce mal éclairée, garnie de lits pouilleux et de planches où l’on rangeait ses affaires, ils s’entassaient, les subalternes tapageurs qui copient grossièrement leurs durs maîtres, exagèrent l’infatuation et l’immondice. Comme j’ai l’aspect robuste et que j’étais taciturne, mon entrée dans ce chenil se passa sans trop de grognements : « Canelon ! Canelon ! On se retrouve