Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/121

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Quand ce fut fini, les têtes goguenardes se relevèrent ; Boridan exultait : « Voyez le résultat ; la respiration est libre ; le pouls augmente d’amplitude. Une sudation abondante indique la défervescence. » Tous demandaient des détails complémentaires. C’était convaincant, lumineux ! Puis, comme il fallait déjeuner, le groupe infâme se dispersa. ..........

Dans cette salle impitoyable, chaque lit était une chambre de torture. Le cynique Quignon annonçait à l’avance les extravagantes trouvailles de son maître : « Tenons-nous bien, messieurs. On va essayer de guérir les rhumatismes. Vous allez voir ce que vous allez voir. Tout de même, le gredin, il pistonne bien. » Pistonner, dans l’argot morticole, signifie pousser ses élèves aux examens, en dépit de toute justice. Ainsi les ambitieux aplatis comme Quignon arrivent à toutes les situations avant les Barbasse et les Misnard. Prévenu, j’attendais avec terreur Boridan, son chapeau, l’éternelle cigarette. Pour lui, l’hôpital était une corvée. Il arrivait en trombe, s’informait d’un ton dégagé : « Rien de nouveau ? » et passait au galop la revue des lits, tandis que l’interne lui énumérait vite les entrants. De cette manière, le consciencieux docteur gagnait sans trop de peine l’argent du Secours universel. Mais il lui fallait son expérience hebdomadaire. Au bout de cinq ou six jours, il se frappait le front : « Ça y est ! » et commençait les préparatifs. Puis on réunissait les collègues. Cloaquol fonctionnait. Des dessins paraissaient dans les périodiques illustrés, racontant en détail la sublime découverte de l’illustre clinicien de l’hôpital Typhus. La clientèle affluait. Le tour était joué. C’est ainsi que Boridan inventa un système de guérison des maladies du cœur, à l’aide du fauteuil à bascule et du cheval de bois. C’est à lui que l’on doit le fameux lavement par en haut. On introduisait une énorme canule au fond du gosier de la victime et on lui lançait dans l’organisme les liquides les