Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/136

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les infirmiers, les surveillants, les élèves, Misnard en tête, une feuille de papier à la main. À tous les degrés du lointain, ceux qui restaient couchés s’accoudaient sur leurs lits. Enfin, groupés autour du poêle, les anciens guéris de Dabaisse, dont le corps porte les stigmates de lésions anciennes ou récentes, venus embrasser leur sauveur : ce sont de pauvres vestes luisantes, des caracos râpés, mais si propres, des complets et des chapeaux extraordinaires. Les marmots dansent d’un pied sur l’autre et considèrent curieusement le spectacle. Il y a des familles complètes : en avant, la mère, plus décidée ; derrière elle, le mari timide porte le gosse ou roule sa casquette entre ses doigts. La reconnaissance, l’attente, l’espoir communient à travers chuchotements et murmures. Tout se tait subitement. Un pas vigoureux retentit… C’est Dabaisse. Je le vois entrer, lui ; j’admire sa bonne face aux favoris blonds, ses yeux clairs, sa forte corpulence. Il est en costume de ville et sans tablier. Il est ému. Ses lèvres tremblent. J’entends sa voix franche et sonore, porteuse de bienfaits, qui console et rassure : « Merci, mes amis, merci. » Les bouquets qu’on lui tend s’empilent dans ses mains robustes. Il les passe à Misnard. Les larmes glissent de ses yeux sur ses joues aux larges méplats. Elles sont contagieuses. La gorge me pique. Je subis l’élan des malades, des élèves, de la salle entière. Une femme lui saute au cou et sanglote ; c’est le dégel, un déluge de pleurs. Tous se jettent dans ses bras et tous il les embrasse. Ils n’y suffisent point, ses bras musculeux, remparts de son cœur, bien qu’il les étende et les enlace autour des bourgerons, des bonnets fripés, des vestes fanées et vaillantes. On lui passe les enfants qui crient et se débattent. C’est un brouhaha, une fourmilière d’émotions chaudes… Le rire se lève sur les visages. Dabaisse vante la bonne mine de l’un, la solide jambe de l’autre, les guirlandes, les bouquets et les mioches : « Chut… Chut !… » Le silence se fait. Misnard s’avance et lit son compliment. Il raconte