Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/137

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les belles actions du maître, la gratitude des malades et des élèves, la haute, la noble leçon qui se dégage de la souffrance rachetée par le dévouement. Dabaisse veut arrêter l’éloge, mais il suffoque. Tonnerre de bravos. On crie, on trépigne. Elles applaudissent, les mains usées par le travail, le froid, la maladie et piquées par l’aiguille. Elles trouvent la force de se rejoindre et d’exprimer l’enthousiasme. Je les vois toutes dans l’espace, oiseaux d’allégresse, là-bas, au bout des lits, ici tout près en masse. Dabaisse s’est remis. Il parle à son tour : « Mes enfants, rien ne pouvait me toucher plus le cœur que de vous voir tous autour de moi. Je vous ai soignés de mon mieux, c’est vrai. Il y en a que je connais depuis longtemps. N’est-ce pas, mère Louise ? — Une énorme vieille se tamponne les yeux et se mouche. — Tenez, ce papa-là — il saisit l’épaule d’un ouvrier maigre, à cheveux blancs —, je l’ai fait durer par miracle et maintenant il en a pour autant d’années qu’il voudra. Je dis cela afin de vous donner du courage, à vous autres, les nouveaux venus. On se tire de tout. Étant enfant, j’ai eu je ne sais combien de maladies ; je n’étais pas d’une famille de médecins, et mes parents n’étaient pas riches. C’étaient les pires conditions. J’ai travaillé ; je me suis guéri. Il ne faut jamais désespérer. Ils le savent bien, ceux qui sont arrivés ici en pleurant et en souffrant et qui sont repartis joyeux au bras de leurs femmes ou de leurs mamans… Quant à vous, mes élèves, je vous dis ceci : ayez pitié des malades et respectez-les. C’est la moitié de votre devoir. Être savant, c’est quelque chose. Être très bon, c’est encore mieux. On m’accuse d’être vieux jeu, de ne pas tenir compte des progrès… Si, si, je sais. Je lis ce reproche dans les regards de certains d’entre vous. Cela m’est égal. Je renie les procédés barbares qui grandissent la renommée de l’opérateur aux dépens du patient et sacrifient l’humanité à la science. Voilà. Je fais mon devoir chaque jour et je le ferai jusqu’à ce que le Seigneur me rappelle. Le sacrifice est ma