Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme des comédiens et ils posaient pour la galerie, s’arrêtant sur les marches, pérorant à grands gestes. Un gamin à tête de vipère grommela près de moi : « Canailles, voleurs, voleurs. » Et je voyais la forme des bouches dessiner de tous côtés ces outrages. Les parlementaires portaient des redingotes noires et des serviettes en maroquin. On les accusait de tripotages et de déprédations innombrables ; mais, comme ils servaient d’intermédiaires entre les autres pouvoirs et qu’ils faisaient les lois, ils se soustrayaient toujours eux-mêmes à des châtiments d’ailleurs illusoires.

Un défilé de personnages aux couleurs éclatantes sortit d’une rue latérale. Leurs robes écarlates traînaient à terre. Ils avaient sur la tête de hautes toques rouges, sur l’épaule une bande d’hermine. Ils marchaient en rang, solennels, majestueux, précédés de massiers à chaînettes également majestueux et solennels. Je jouai des coudes et des mains pour me rapprocher de ces magots. Sur leurs étendards on lisait : Académie de Médecine. — Académie de Chirurgie. — Académie des Sciences. — Académie du Positivisme. — Académie de Physiologie. — Académie de Psychologie. — Académie de Thérapeutique. — Académie de Sociologie, etc., etc., et autres noms baroques, tirés du latin et du grec, qu’épelaient autour de nous les enfants et qu’estropiaient les badauds. Derrière eux, une fanfare retentissante précédait une statue dorée, grande comme une tour, hideuse, hérissée d’objets symboliques tels que compas, seringues, machine électrique et forceps, le tout en carton, ajusté sans art et sans goût à l’effigie burlesque. Un immense cri s’éleva : « La Matière ! La Matière ! » Sur l’escalier, les membres du Parlement enlevèrent leurs chapeaux, en bas, ceux de l’Académie, leurs toques. Des multiples bras de cette mère Gigogne partaient des cordons d’argent, qui se prolongeaient jusqu’à des sortes de brûle-parfums balancés par des juges en toge noire.