Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/164

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CHAPITRE VII


J’appris avec douleur, le jour suivant, que Misnard était très malade. La fièvre croupale l’avait pris dans la nuit. Mon service achevé, je courus à sa chambre, au-dessus de la salle de garde. J’eus le triste bonheur de veiller ce martyr et de lui faire boire sa potion par toutes petites gorgées. Il me considérait de son bon regard intelligent, un peu voilé. Il parlait bas, mais sans incohérence ; même il me demanda du papier, il griffonna péniblement une lettre, sa pauvre tête brûlante appuyée sur sa main. Il répéta à deux ou trois reprises : « Ah ! ça ne va pas fort ! Ça ne va pas du tout ! » Au reste il se jugeait avec lucidité et s’observait la gorge au miroir. Il n’avait pas voulu que l’on prévînt ses parents, lesquels habitaient la campagne. Ses camarades venaient le voir, essayaient de lui remonter le moral : « Eh bien, mon vieux, tu fais la jeune fille ! Tu te rends intéressant. » Il ne répondait que par un mélancolique sourire. À Jaury il dit : « C’est toi que je charge, quand ce sera fini, de prévenir mes vieux. Tu y mettras beaucoup de douceur, parce qu’ils n’auront pas de résignation. » Quand Dabaisse entra, accompagné de Charmide, il manifesta une joie très vive et ses lèvres sèches étaient agitées d’un tressaillement nerveux. Dabaisse ne cachait pas son émotion : « Grand bêta ! Il s’était déjà dévoué une fois dans les mêmes circonstances. Je le lui avais pourtant défendu : on ne peut pas le tenir.