Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/177

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CHAPITRE VIII


La veille du jour où je devais commencer mes études et prendre mes inscriptions, c’était grande séance chez Foutange. On en causait fort à la salle de garde, et Tripard affirmait que Rosalie était prête. On comptait sur une querelle avec Boustibras. Nous arrivâmes de bonne heure, Trub et moi, dans le domaine de l’illustre hypnotiseur. Le service de Foutange formait en effet une véritable cité au milieu de ce royaume de misère qu’est l’hôpital Typhus. L’extraordinaire pression sentimentale et sociale, à laquelle sont soumis les Morticoles, a développé chez eux au plus haut point les désordres du système nerveux. Une perpétuelle inquiétude, le moindre bobo exagéré, traité par une dizaine de médecins contradictoires ; une activité industrielle incessante ; un frénétique désir de rapidité dans les communications, que manifestent et multiplient la vapeur et l’électricité à outrance ; l’affaissement des âmes par l’analyse, la persuasion du fatalisme, la crainte de l’hérédité, la terreur de la mort, la certitude de l’omnipotence de la matière ; la soif à tout prix de la richesse, la méfiance des inévitables docteurs ; la nature, heurtée et violentée par la science, qui se venge en empestant les sources, l’air, la mer, en donnant aux animaux des maladies hideuses, qui viennent de l’homme et retournent à l’homme ; les fleurs lourdes de sucs vénéneux ; l’art ne racontant que la misère et le deuil ; le contact d’hôpitaux, de prisons, d’égouts, de