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DEUXIÈME PARTIE

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CHAPITRE PREMIER


Je sortis de l’hôpital au matin, par un pâle soleil. Ma joie était extrême. Lors de ma dernière visite à la salle de garde, les internes, saluant en moi un futur collègue, avaient bu à ma santé et m’avaient promis de m’éviter les faux pas. Quignon ne m’avait point ménagé les conseils : « Canelon, soyez plat. Moi, j’ai fait ma route par la bassesse. J’ai, jusqu’ici, réussi à merveille. J’ai cru parfois, à l’occasion des expériences de Boridan, surprendre, dans votre regard, des éclairs qui n’étaient pas précisément d’admiration. Voilà, mon cher, un défaut qui passe inaperçu chez un garçon de salle, mais qui, remarqué chez un élève, le coulerait. Mettez-vous dans la tête qu’un chef influent ne peut se tromper, que l’on doit s’agenouiller devant chacun de ses actes, chacune de ses paroles. Vous voyez que je suis franc avec vous et je n’ai nul intérêt à vous parler ainsi, puisque vous ne pouvez me servir. Quand vous aurez passé le concours du lèchement des pieds, où vous réussirez, je l’espère, il vous restera à mettre en œuvre l’intrigue sagace et continuelle. La corruption vous est interdite, par manque de ressources. Or, mon ami, tout professeur morticole a sa marotte, sa