Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/200

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donnait de mutiler, je me contentais de les regarder avec sympathie : ô lentes promenades des braves escargots par les soirées humides, alors qu’ils laissent derrière eux un sillage d’argent, et sortent leurs cornes gélatineuses.

Les Morticoles échafaudent sans trêve, sur les sciences naturelles, des hypothèses matérialistes, qui se remplacent et se ruinent successivement. D’où d’incessants conflits, des luttes d’Académie à Académie, des discrédits suivis de relèvements, des vérités momentanées qu’on nie d’abord, qu’on admet ensuite et qui renversent les vérités antérieures. L’ensemble rappelle les bateleurs qui font la culbute, se relèvent, montent sur l’épaule de leur camarade, touchent le sol à leur tour et servent d’escabeau à celui qu’ils viennent d’escalader. Cela n’empêche point les professeurs de célébrer les progrès incessants et continus de leurs travaux, alors que ceux-ci constituent la toile de Pénélope, où la théorie du lendemain découd celle de la veille.

Lors de mon voyage, la mode appartenait à un système tout battant neuf, baptisé l’Évolution. Évolution et microbes, cela répondait à tout, expliquait l’univers et remplaçait Dieu. Non contents de l’hérédité, qui soumet l’individu à ses aïeux, supprime la liberté et la spontanéité, quelques savants avaient imaginé une vaste dépendance de la nature entière : l’homme descendrait du singe, lequel viendrait du kangourou, puis du renard, puis de la souris, puis du mollusque, puis du ver, puis du scorpion et de l’araignée, enfin d’une gelée végétale, et, par elle, du règne minéral. Ces métamorphoses se seraient produites grâce à des batailles et luttes acharnées, loi fondamentale d’une société où le plus fort l’emporte toujours. Les Morticoles ont trouvé là de belles excuses à leurs injustices et scélératesses, car c’est encore une de leurs manies de ne pouvoir faire une hypothèse sans en tirer aussitôt des inductions pour tous les domaines de l’esprit, sans en badigeonner l’histoire et la vie sociale. Ils abou-