Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/264

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brochettes, le Bureau fit son entrée solennelle, Vomédon en tête. Sur l’estrade, dans des fauteuils dorés, prirent place les majestueux pontifes. « Silence, messieurs ! » glapit un huissier. Vomédon se leva, dressant un peu son dos voûté, et, d’une voix mâchonnée, sourde, d’un œil clignotant, lut le programme de la séance :

1o Communication de M. le professeur Bouze sur les curieuses propriétés du Vanica rubicans (c’était le vol commis au préjudice de « la Cigogne ») ;

2o D’un nouveau procédé pour compter les pulsations radiales par M. le professeur de villes d’eaux Callipostude ;

3o D’un cas de cancer artificiel par M. le professeur Bradilin ;

4o Élection d’un membre correspondant.

Vomédon se rassit et je vis surgir mon ancien maître Bouze, directeur des promenades botaniques. Il commença à dérouler un interminable discours où revenaient, tels des bouchons sur une eau croupie, ces mots nasillards et chevrotants : Vanica rubicans, Vanica rubicans. Je me tournai vers la bonne face velue et malicieuse de Lecène de Cégogne. Il savourait le plaisir du volé. De temps en temps, il hochait la tête pour approuver, ou il la secouait négativement, ou il marquait sa stupeur devant une affirmation hasardée. Bouze continuait son débit monotone, déposait une à une devant lui les pages qu’il venait de vider par l’orifice baveux de sa bouche, et, comme le paquet qu’il tenait à la main était énorme et ne diminuait pas, des bâillements s’ouvrirent et se transmirent, exprimèrent la fatigue qu’imposaient à ces messieurs de l’Académie les multiples dispositions extérieures et internes du Vanica rubicans, dont le pistil…, dont les étamines…, dont les pétales…, etc…, etc… Un de mes confrères murmurait : « Voilà une fameuse réclame pour le futur remède de Banarrita. » Bouze, en effet, certifiait que ce poison dompté révolutionnerait, dans un avenir