Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/309

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Vous faites un joli métier. Mais patience ! La justice va s’occuper de vous. Je dépose une plainte et je vous briserai comme ceci. » Une nouvelle volte du redoutable bâton s’abattit sur la table avec un bruit éclatant et le réchaud d’argent fut aplati comme une casquette. Profitant de ce brouhaha et du désordre, Sorniude, Cordre et Bradilin s’esquivèrent et fermèrent la porte à clef. Alors de Sigoin poussa des imprécations : « Les lâches, les scélérats, les lâches ! » accompagnées de bris de verreries et de vaisselle et d’un moulinet qui, en quelques minutes, fit de la pièce un vaste carnage. Quand ce frénétique eut passé sa colère, éparpillé une boîte de cigares, éventré deux ou trois tableaux représentant des Amours malades, il reprit le chemin de l’antichambre, du pas régulier d’un homme soulagé : « Je vais aux tribunaux. Quant à toi, mon garçon, tu as eu raison de ne pas m’arrêter. Sans ton calme, tu ne serais plus actuellement qu’une bouillie. »

Débarrassé de ce tumultueux personnage, je trouvai Sorniude, Cordre et Bradilin plongés dans l’anéantissement : « Voilà l’esclandre, gémissait mon maître. Il faut sortir de cette impasse. La canaille de Tismet ! Je comprends pourquoi il voulait se mêler de l’opération. Il était l’amant de la petite Sigoin. — En justice ! répétait Cordre désespéré. — Oui, en justice, poltron ! Mais si nous restons là, les bras croisés, nous serons sûrement condamnés. En avant les grands moyens ! » Reprenant courage, Sorniude renvoya ses deux compères, trop accablés pour le servir, réfléchit quelques minutes, debout, froissant de sa main fine son menton pointu et sortit, après m’avoir lancé ces mots : « Je ne rentrerai pas de la journée ! »

Elle fut longue à passer, cette journée. À toutes les clientes j’étais forcé de répondre : « M. le docteur ne reçoit pas. » D’où étonnements, crispations, réclamations auxquelles j’opposais une moue signifiant : « Qu’y puis-je ? » La concierge monta, terrifiée par le vacarme et