Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/318

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santa l’absence et la peur de Tismet. On me félicita de mon ahurissement. Au milieu du repas, un reporter du Tibia brisé vint, au nom de Cloaquol, interroger l’illustre acquitté. Tout le monde parti, Méderbe resta seul avec son client et une jolie fille décolletée et caressante que celui-ci gardait amoureusement sur ses genoux. Le luxueux salon, éclairé par cinquante bougies, brillait comme une escarboucle, et les claires étoffes, les fouillis de dentelles, les tableaux demi-licencieux resplendissaient, animés par des réflecteurs. Méderbe avait beaucoup trinqué, mais la boisson ne faisait que le glacer davantage. Il se planta devant mon maître et lui dit : « Avouez que vous n’avez pas payé trop cher le plaisir de respirer cette fleur parfumée. » Il montrait la jeune femme et les roses épaules frémissantes, sur lesquelles s’appuyait le menton pointu du voluptueux Sorniude : « Pensez qu’en ce moment, vous pourriez occuper une cellule de l’hôpital-prison. Rien ne gênera désormais vos aspirations. Les soupçons dissipés ne reviennent plus. Vous avez une légende d’incorruptible. C’est à cela que servent les tribunaux. »

Ma conscience avait des retours brusques. La nausée me prit soudain. Puis Sorniude me faisait peur. On racontait que certains de ses domestiques, mêlés à trop d’aventures, avaient disparu mystérieusement. Je redoutais ce sort, et, bien que mon maître fût charmant pour moi depuis son acquittement et me comblât de gratifications, je résolus de l’abandonner.