Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/351

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embrouillées de Mme Clapier. Il possédait, le prince Warmfried, une livrée célèbre, blanche et noire à boutons rouges, symbole des deuils que déchaînaient ses atroces combinaisons d’agio. Mais, en ce moment, cette livrée opprimait son esprit d’images funestes. Sa commère était écroulée sur le tapis, dans sa jupe de brocart, dépoitraillée, ses faux cheveux gisant à côté d’elle, plus vaste que si elle avait eu douze ventres, le cou et les épaules couverts de boutons aussi gros et nombreux que ses diamants, dont chacun représentait un crime, un suicide, une folie. Elle haletait, trempée de larmes et de sueur. On leur avait jeté au visage leurs tares secrètes, les sources empoisonnées de leur fortune, le détail de leurs vols et de leurs pirateries. Les yeux de Warmfried reprenant connaissance devenaient peu à peu froids et vindicatifs. Ce tigre-là sortait de la peur par la haine. Cependant Clapier, qui jusque-là était resté debout contre la rampe à faire de grands gestes et à se lamenter, se retourna, aperçut le richissime banquier, flaira une compensation, et se rapprochant : « Prince, toutes mes excuses… Désolé… Cabale indigne. » L’autre fit une moue inexprimable. Mon maître agitait un flacon de sels au-dessous du nez crochu : « Princesse, il est trop tard pour prévenir votre médecin, mon collègue Avigdeuse. Il serait imprudent de sortir. Voulez-vous que ma femme vous déshabille et vous couche dans son propre lit ? » La colossale figure rouge acquiesça en geignant et les paupières se soulevèrent sur un regard d’angoisse. Warmfried céda aux instances réitérées de Clapier. On souleva ce paquet de graisse et de bijoux, et voilà comment Avigdeuse, ayant comploté la ruine de son rival, se trouva perdre son principal client, le plus scélérat, le plus subtil, le plus hypocondriaque aussi des financiers morticoles.