Page:Léon Daudet - Les morticoles, Charpentier, 1894.djvu/92

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s’agite dans l’hémicycle. On passe vite entre nous… Jaury me tapote le front ; tout le monde se lave les mains, surtout Malasvon dont les gros doigts craquent, tandis que la surveillante verse dessus un filet d’eau. J’entends la pendule, le pulvérisateur, des voix qui chuchotent à la hâte…, puis un ronflement, une sorte de sifflet. C’est l’homme qui a avalé la pièce et qui étouffe. On commence par lui. Une poulie descend du plafond, s’éclaire d’une lueur soudaine ; l’électricité grésille. Malasvon saisit la gorge de l’étranglé que les élèves maintiennent… Un éclair de bistouri… La lampe se balance au bout de son fil ; on l’approche du cou : « … Pince… Éponge… Une autre pince… » Ces mots, on se les passe aussi vite que l’objet qui disparaît entre les phalanges robustes de Malasvon. Un gargouillement, comme de bulles d’air et de liquide. Le maître sort victorieux, au bout de sa pince, une pièce rouge : « Voilà, messieurs ! » On applaudit… « À une autre… À une autre… Le numéro suivant… Non, pas celle-là… » On tourne tous les brancards dans le même sens. Je vois les têtes de mes camarades d’angoisse. Elles sont terribles. Les yeux dilatés fixent l’autel du supplice, la table, où l’on empile en ce moment d’épais coussins de cuir que l’on tapote et recouvre de linceuls blancs… Les dents claquent… J’entends leurs castagnettes. Je raidis mes muscles… On me souffle : « N’ayez pas peur. » Si, j’ai peur… Il y a une bousculade dans l’amphithéâtre ; on descend pour mieux voir. On se presse. « Assis ! chapeau ! assis ! » Au moins, maintenant, je ne les vois plus, ces assis tant assoiffés de meurtre ! Je leur tourne le dos. Mais je vois l’opérée, qui s’assied en pleurant, puis se couche sur la table. Comme elle paraît petite ! Malasvon domine tout ce monde. Une autre machine descend du plafond. On l’applique sur le visage de la femme qui se débat. Une terrible odeur se répand, pénétrante, entêtante, vireuse : le chloroforme ! La patiente ne remue plus, mais elle râle et murmure : « Mais si… mais si… Lâchez-moi… Mon