Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/126

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hausser les épaules. Les honnêtes gens feront justice de cet amas d’infamies. » Ces propos ne sont que la millième partie de ce qu’on entendait de ce côté. Mais, chez les écrivains, le son de cloche était différent et, parmi les étudiants, un sympathique intérêt dominait. On admirait le courage d’un homme isolé qui s’attaquait ainsi à toutes les puissances d’argent, on s’informait, on demandait des détails sur ce farouche guerrier, sorti, comme par une trappe, au beau milieu de la veulerie contemporaine. Était-ce un paladin, un illuminé, un jeune, un vieux ? Était-il blond, brun, violent dans la vie courante ? Je me multipliais. Je le dépeignais tel qu’il était, dans sa toute petite maison accueillante ; j’ajoutais que ceux qui le chercheraient trouveraient à qui parler.

Arthur Meyer, pour son malheur, le chercha. Je ne connaissais pas en 1886, bien entendu, les détails que je publie aujourd’hui ; mais ils éclairent d’une lumière crue la véridique histoire du « coup de la main gauche », qui acheva l’œuvre de Magnard et donna en quelques heures au nom de Drumont, par-dessus le retentissement de son livre, une célébrité foudroyante.

À la page 188 du tome 2 de la France juive figure un portrait, datant de 1869, d’Arthur Meyer par Carle des Perrières, portrait assez féroce, où le juif du Gaulois est appelé « le duc Jean ». Suivent, de la main de Drumont, quelques pages de psychologie ethnique qui constituent pour Meyer ses véritables quartiers de noblesse. Ses descendants s’y reporteront toujours avec profit.

Or cet article des Figures de cire rappelait à Meyer un souvenir héroïque, le seul en ce genre de sa fétide existence. Provoqué ainsi par Carle des Perrières, il avait été chercher à la Maison dorée — où il déjeunait alors, par ostentation économique, d’un œuf et d’une carafe d’eau — deux témoins huppés et sportifs, dont les noms fussent pour lui une garantie d’honorabilité. Il les avait trouvés. À Paris les bons garçons ne sont pas rares. Néanmoins l’un d’eux, homme extrêmement brave et qui avait eu des duels retentissants, éprouva, à la veille de l’affaire, un scrupule tardif et dit à l’autre : « Après tout, nous ne connaissons pas ce juif. S’il allait au dernier moment renâcler ? Où habite-t-il ?