Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/143

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bon. Il a dit à Réjane qu’elle s’était surpassée et, après le trois, il pleurait.

— Des pleurs de Bauer, voilà qui fera monter le prix de l’Eau de Crocodile.

— Et Vitu ?

— Il est parti après le second acte, irrité, suivi de Mlle Hadamard, de la Comédie-Française…

Vitu était le critique du Figaro. On le considérait comme littérairement nul, mais influent à cause de la clientèle du journal. Il n’est du reste demeuré de lui ni une ligne, ni un mot, ni une opinion. Je dirai la même chose de Sarcey, avec cette différence que Sarcey était un gros bonhomme réjoui, savoureux, bambocheur, assez paillard, disait-on, et qui faisait volontiers la bête. On n’a pas idée des malédictions qui se sont abattues sur sa tête ronde, et à moitié obtuse, de 1880 à 1900. Elles le laissaient souriant, ami du « r’bondissement dramatique » de Gandillot, de Sardou, de Bisson, ennemi d’Ibsen, rebondi lui-même et prépondérant dans l’opinion des couches moyennes. Mais en dehors de ces couches moyennes, quel tollé !

La jeunesse ne doute de rien. Je voulais que Timoléon entendît à nouveau Germinie Lacerteux et rendît justice à Goncourt. Il prétexta un rhume et se commanda une « aïgo boulido » ou « eau bouillie ». Or la cuisinière, une Lorraine, ignorait complètement cette recette éminemment méridionale. Timoléon lui avait cependant bien expliqué : « Vous savez ce que c’est que l’ail ? — Oui, monsieur — Que de l’eau chaude ? — Oui, monsieur — Bon. Vous prenez deux gousses d’ail, vous les mettez dans l’eau bouillante. Puis un peu d’huile et ça y est. » Ces recommandations, exécutées à la lettre, aboutirent à une effarante médication d’ail cru dans une boue filante : « Ah, ce n’est pas ça ! s’écria Timoléon. La cuisinière désolée fit un nouvel essai, à peine moins désastreux que le premier. Alors Timoléon : « Tu vois, mon enfant, si je recommençais l’épreuve de la Germinie de ce brave monsieur de Goncourt, ça ferait comme pour l’aïgo boulido. Mieux vaut, je crois, en rester là. »

Cependant Pélagie rapportait à son maître, d’après les inspecteurs de Porel, des noms de gens qui avaient sifflé ou chuté. Les Un Tel étaient partis après le second acte. Les Un Tel avaient ri au tableau des enfants. Quelques-uns de ces délin-