Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/147

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Il ne débarquait pas à Paris un journaliste étranger, surtout américain, qu’il ne s’informât de Sardou et ne courût lui demander ses impressions sur n’importe quel sujet d’actualité. En sortant de là, le petit curieux sautait chez Renan, passé à l’état d’idole radicale et de bouffon philosophe, et confrontait l’avis du Collège de France avec celui de Marly-le-Roi. C’est incontestablement Sardou qui a inauguré pour le lancement de ses pièces, la publicité à jet continu, ainsi que pour un chocolat ou un apéritif. Il avait obtenu, par ce bas procédé, une réputation artificielle, mais mondiale, composée, comme celle de Rostand, du suffrage de toutes les incompétences. On m’assure qu’actuellement encore on découvre parfois, dans des cases de nègres anthropophages, au centre de l’Afrique, un supplément illustré du Gaulois consacré à la première représentation de Théodora.

Sur les places publiques,
Quand tu rôdais le soir
Dans l’ombre des portiques
Chacun a pu te voir

Ah ! ah ! Théodora (bis)
Ah !

Dans son feuilleton du Temps, le bonhomme Sarcey analysait béatement ces effarantes insanités, l’interrogatoire du Gaulois tombant à Byzance et s’informant afin que les spectateurs fussent informés. Cependant qu’Henry Bauer, bien plus stupide certes que Sarcey, mais d’une stupidité « avancée » ou se croyant telle, reprochait à Sardou de n’être pas Dumas fils, et que Mendès, pochard essoufflé et grandiloquent, lui cherchait querelle à cause de son prénom de Victorien, parodie de Victor, l’accusait de sacrifier la pensée au machiniste et à l’accessoiriste. On ne savait pas, en somme, dans quel camp il y avait le plus d’enfantillage et de sottise.

Le petit hôtel d’Edmond de Goncourt, boulevard Montmorency à Auteuil, contre la voie du chemin de fer de Ceinture, se compose d’un rez-de-chaussée, de deux étages et d’un minuscule jardin. Il était empli de merveilles, dont la description court aujourd’hui les catalogues, mais qui faisaient partie de la demeure, qui avaient été choisies une à une, amoureusement et que leur possesseur ne vous forçait pas à admirer. Je ne con-