Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et d’allégresse, comme si Eschyle, Pindare, Dante et Shakespeare se révélaient en lui à lui-même. Tout d’abord vous croyez à une farce. Peu à peu, devant le visage tendu de l’auteur, glacé d’orgueil sous cette ébullition factice, vous reconnaissez que c’est sérieux et même, comme disent les médecins, que c’est grave. Malheur à la dame âgée ou jeune, mais distraite, qui ne tombe pas à genoux, prenant à témoins le soleil et les étoiles qu’elle n’a jamais ouï tel génie. Le poète, cédant au prosateur satirique, a mis son nom à jamais maudit dans sa mémoire et désormais elle sera, en cent autres morceaux analogues, âprement flagellée, tournée en dérision et en caricature, vouée aux dieux infernaux du manque d’orthographe, de la vilaine broderie, de la mauvaise eau de toilette, de l’hospitalité défectueuse. Quand il s’agit de la vénération qui lui est due, Robert de Montesquiou ne barguigne pas. Il tient de Brummel et de Trissotin.

Tel quel, et si carrément insupportable qu’il apparaisse les trois quarts du temps — exception faite pour les heures de détente où il veut bien être simple — ce gentilhomme hurleur, ce magot moliéresque a créé un genre. À côté de lui, Rostand et d’Annunzio, ses vils imitateurs en affectation et en outrecuidance, ne sont que d’inférieurs plagiaires, les pluriels de ce singulier. N’est pas tarabiscoté qui veut. Ne sait pas qui veut transporter son socle de salon en salon et monter dessus, une lyre de nougat de couleur à la main. Ne hennit pas d’extase qui veut, devant ses propres fabrications. Il y a, dans Robert de Montesquiou, des coins d’un grotesque sublime, alors que ceux que je viens de citer, venus tard et comme moisis, en sont demeurés au ridicule. Laissons de côté des Esseintes, pour lequel Huysmans a manqué de verve sans manquer malheureusement de crédulité, et concluons que, dans la menue monnaie de Byron, Pierre Loti est encore un louis d’or et Robert de Montesquiou une pièce de dix francs. Les autres représentent le billon. Or il n’est rien de plus sinistre que l’exceptionnel à bon marché, que le rarissime en zinc d’art, que le Kamtchatka chez la concierge.

Parfois se montrait au « grenier » Gustave Guiches, — fort incolore, bien qu’on le devinât point sot et même avisé — et que nous avions adopté comme unité de mesure littéraire. On