Page:Léon Daudet - Souvenirs des milieux littéraires, politiques, artistiques et médicaux (I à IV).djvu/186

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la thèse exclusivement, mes études à la Faculté de Médecine. J’ai été externe, puis interne provisoire des hôpitaux. J’ai vécu dans l’intimité des pontifes. Mon jugement, que l’on pourra trouver sévère, sera en tout cas fortement motivé. À la lumière des renseignements qui me sont parvenus depuis lors, je constate que les Morticoles, qui furent considérés comme un pamphlet, pèchent par leur excessive indulgence. J’ai soulevé en 1894 un pan du voile. Je vais l’arracher cette fois.

Tout d’abord l’organisation de la Faculté, qui n’a pas changé depuis 1886, est centralisée, c’est-à-dire jacobine, et despotique, c’est-à-dire impériale. En bas, un véritable prolétariat médical, envahi maintenant par les étrangers et métèques, où sévit cruellement la concurrence. En haut, une série de mandarins, créés par les concours à échelons et jet continu, mandarins qui se haïssent au fond, mais s’entendent sur le dos des candidats perpétuels. Entre les deux, un peuple d’élèves, soumis et craintifs, sans volonté comme sans initiative, que le succès ou l’insuccès fera tantôt monter au mandarinat, tantôt rejettera dans la foule anonyme et misérable des court-la-visite et des coupe-le-ventre. Ajoutez à cela les influences politiques et électorales, qui peuplent les chaires et les laboratoires de nullités alliées aux ministres et femmes de ministres et demandez-vous comment un jeune homme de valeur, mais sans appui, ni argent, ni bassesse, pourrait traverser ces rangs pressés de fonctionnaires et d’intrigants ?… Ainsi s’explique la déchéance extraordinairement rapide d’une science où nous avons jadis tenu la corde avec les Bichat, les Laënnec, les Duchenne de Boulogne, les Morel de Rouen, les Claude Bernard, les Charcot et les Potain ; sans compter le grand Pasteur, qui est à part, mais dont l’Institut est lui aussi, à l’heure actuelle, en complète décomposition. Ce préambule était nécessaire pour vérifier une fois de plus la parole royale : Les institutions corrompent les hommes.

Je ne m’en doutais guère, au quatrième trimestre de 1885, en prenant mes premières inscriptions entre les mains du sympathique Puppin, secrétaire de l’École. J’avais trois illustres répondants et protecteurs : le professeur Charcot, ami d’Alphonse Daudet, et père de mon camarade Jean Charcot, aujourd’hui explorateur ; le professeur Potain, qui soignait les miens depuis de longues années ; enfin le chirurgien Péan, qui m’avait